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Lorsqu'un même moyen de production, par exemple une machine, sert durant plusieurs années, il s'impose l'idée de tenir compte de l'usage de ce moyen dans l'évaluation du coût des biens produits au cours de chacune des années.
Cette idée se retrouve en comptabilité générale, où l'on évalue pour une période appelée exercice comptable un bénéfice ou une perte. Il faut donc tenir compte de l'usage des biens qui durent plus longtemps que l'exercice comptable, ce qui est réalisé principalement par le moyen de l'amortissement, somme conventionnelle destinée à représenter la dépréciation du bien durable au cours de la période.
Des contraintes légales pèsent sur le calcul des amortissements en comptabilité, notamment en raison de ses incidences fiscales.
Deux éléments de natures différentes obligent à faire intervenir des découpages du temps dans la gestion : le calcul périodique de résultats et larépartition des responsabilités dans les entreprises.
En ce qui concerne le calcul des résultats, on a vu au chapitre précédent que les dividendes et les impôts étaient calculés et versés au moins une fois par an.
Par ailleurs, chaque choix opéré dans une entreprise engage l'avenir, et l'on oppose dépenses courantes et dépenses d'investissements, ces dernières faisant l'objet de décisions de la part des plus hautes instances de l'entreprise.
Se pose donc le problème de la prise en compte technique de ces découpages du temps. C'est sur l'exemple schématisé du compte de résultat que le problème sera examiné, pour les mêmes raisons qui ont conduit à faire usage du bilan pour présenter la question des relations entre ressources et emplois.
Le compte de résultat est établi en même temps que le bilan, et il explicite les mouvements de biens qui ont permis, au cours de l'exercice comptable considéré (nous admettrons ici que c'est l'année, mais il peut en être autrement) de passer d'un bilan au bilan suivant.
Ce compte rassemble principalement les soldes des divers comptes de "charges" et de "produits" de la comptabilité générale.
Nous supposons que l'exemple donné ci-dessous est relatif à l'entreprise dont le bilan figure chapitre II, § II.
charges produits Charges d'exploitation Produits d'exploitation achats de matières premières 300 ventes de produits 3 040 diminution des stocks de accroissement des stocks matières premières 150 de produits finis et de produits en cours 290 achats de services extérieurs 200 impôts et taxes 200 charges de personnel 1 600 dotations aux amortissements 300 dotations aux provisions 90 Charges financières intérêts 50 Charges exceptionnelles pénalités surmarchés 50 créances irrécouvrables 150 dons et libéralités (non déductibles fiscalement) 40 Total des charges hors Impôt et bénéfices: 3130 Impôt sur les bénéfices 80 Résultat 120 _______ _______ 3 330 3 330
Un certain nombre de postes appellent des commentaires :
La différence entre l'impôt sur les bénéfices et les "impôts et taxes" tient au fait que ces derniers sont déductibles, c'est-à-dire qu'ils sont considérés comme des frais venant en déduction du résultat imposable, diminuant d'autant le montant soumis à l'impôt sur les bénéfices. Il s'agit notamment de la taxe professionnelle et des taxes locales.
La notion de charges déductibles fait comprendre comment les contraintes fiscales influentsur les calculs comptables. Par exemple, si l'entreprise avait la faculté de constituer librement des provisions, elle pourrait les évaluer à un montant tel que le résultat soit annulé, sans que pour autant les recettes et les dépenses réelles aient changé, à ceci près qu'elle ferait l'économie de l'impôt sur les bénéfices. C'est la raison pour laquelle toute constitution de provisions doit être accompagnée de justifications précises des risques ainsi couverts. Au moment où le risque disparaît (par exemple, lorsqu'un client douteux rembourse), la somme correspondante doit être réintégrée au résultat et participe ainsi au calcul de l'impôt.
On voit de même qu'une augmentation des amortissements diminue le résultat imposable donc le montant de l'impôt. Cette question est primordiale, et il convient de l'examiner en détail.
Les amortissements, comme nous l'avons déjà indiqué, représentent la dépréciation subie par les biens durables au cours de l'exercice comptable. Cette dépréciation peut très naturellement être considérée comme une consommation, au même titre que des matières premières, et figurer à ce titre dans les dépenses comptables, bien qu'il ne s'agisse évidemment pas d'une dépense effective.
Seulement, de quelle manière peut-on évaluer cette dépréciation ? Rares sont les biens pour lesquels il existe un marché de l'occasion et, de toute manière, les cotes ainsi établies ne reflètent qu'un prix moyen, qui peut varier dans chaque cas particulier.
Par ailleurs, il est évidentque la durée d'usage d'un même bien, selon la manière dont il sera utilisé et entretenu, pourra varier dans de larges proportions.
Enfin, la valeur d'une bien dépend non seulement des services qu'il rend et de son degré d'usure, mais aussi des services que rendent les matériels plus récents disponibles sur les marché. Cette cause de dépréciation, qui s'ajoute à l'usure, est appelée obsolescence, et elle joue un rôle d'autant plus important que les techniques employées sont plus évolutives. Il est à noter que ce caractère ne dépend des caractéristiques propres du matériel que par le biais du contexte économique.
Il résulte de ces indications que le dépréciation d'un investissement est une notion qui se prête mal à une évaluation rigoureuse.
Or, nous avons vu quel'industriel a généralement intérêt à majorer le montant de ses amortissements, pour diminuer sa charge fiscale. On serait tenté de penser qu'il fait ainsi un marché de dupe, du fait qu'il ne peut compter des amortissements cumulés qu'à concurrence de la valeur initiale de ses investissements, et que par conséquent les impôts qu'il ne paye pas maintenant, il les payera plus tard (ce qui, au demeurant, est en soi un avantage). Cette conclusion est partiellement erronée, car les économies qu'il fait sur l'impôt lui permettent d'acquérir d'autres investissements, et par conséquent de retrouver ultérieurement de nouveaux amortissements.
On comprend que, dans ces conditions, le fisc ait été conduit à définir des règles d'amortissement qui limitent supérieurement leur montant annuel. Ces règles comprennent deux aspects : la durée, et le rythme.
En ce qui concerne la durée, elle est limitée inférieurement pour la plupart des biens. Par exemple, une voiture automobile de tourisme doit être amortie en cinq ans au moins.
En ce qui concerne le rythme, la règle générale a longtemps été l'amortissement linéaire. L'entreprise comptait en amortissement annuel le quotient de la valeur initiale du bien par la durée d'amortissement. Par exemple, une voiture de tourisme était comptée chaque année pour 20 % de sa valeur à l'achat.
Depuis 1959, une nouvelle règle a été admise pour un certain nombre de biens : l'amortissement dégressif. Dans ce cas, le pourcentage constant est appliqué, non pas à la valeur initiale, mais à la valeur résiduelle du bien. On voit que cette règle suppose une décroissance exponentielle de la valeur.Toutefois, afin de respecter la durée totale, on raccorde la fin de la courbe à une décroissance linéaire (fig. 1).
On voit sur la figure que l'amortissement linéaire est égal, la première année, à V0 - V1, inférieur à l'amortissementdégressif : V0 - V'1.
Enfin, pour des matériels très exposés à l'obsolescence, le fisc admet parfois des amortissements accélérés.
Par conséquent, les dotations aux amortissements qui figurent au compte de résultat sont limitées supérieurement, de façon largement conventionnelle, même lorsque la durée fiscale correspond à une évaluation moyenne raisonnable.
On serait tenté de penser qu'à l'inverse le montant des amortissements n'est soumis à aucun minimum, puisque le fait de les minorer majore le montant des impôts.
En fait, il n'en est pas tout à fait ainsi. Un industriel a certes le droit aux yeux du fisc " de différer ses amortissements" à l'occasion d'un exercice déficitaire ; il pourra alors les déduire de ses résultats imposables ultérieurs. Mais ils'agit d'une opération extra-comptable.
Du point de vue du patrimoine, pour prévenir une tentation de faire apparaître des résultats artificiellement favorables de nature à tromper les bailleurs de fonds et les actionnaires, et conduire à une gestion imprudente, la loi impose que les résultats présentés aux actionnaires tiennent compte d'un amortissement au moins égal en cumulé à l'amortissement linéaire.
La comptabilité générale, nous l'avons vu, a pour première destination de fournir une image de la situation et de l'activité de l'entreprise à ses interlocuteurs extérieurs, en particulier les actionnaires, les bailleurs de fonds, et le fisc. Plus précisément, elle permet de calculer le montant des impôts et le résultat net, qui sert de base au calcul desdividendes.
Ces usages justifient les différentes conventions qui président à l'enregistrement des dépenses, en particulier les ventilations dans le temps, telles que les provisions et les amortissements.
Si l'on imputait intégralement l'achat d'une usine l'année où elle a été effectivement mise en service, l'exercice comptable correspondant ferait apparaître un résultat très déficitaire, tandis que les exercices suivants apparaîtraient exagérément bénéficiaires. On imagine les perturbations que de telles pratiques entraîneraient dans l'appréciation de la qualitéde la gestion et dans le calcul des impôts.
Amortissements et provisions ne sont pas les seuls exemples de ventilations dans le temps que l'on rencontre en comptabilité générale. Dans des cas où une dépense importante doit porter effet sur plusieurs exercices comptables, par exemple une dépense de gros entretien, on utilise parfois des comptes d'étalement ou abonnements qui répartissent cette charge sur les exercices précédents ou suivants.
Si nécessaires que soient ces pratiques, il importe de bien se rendre compte qu'elles sont liées à la durée choisie pour l'exercice comptable. Ce qui impose en effet de passer en amortissements l'achat d'un bien qui dure trois ans, c'est le fait que l'on arrête les comptes tous les ans.Au contraire, un bien acquis en cours d'année et qui dure trois mois sera intégralement imputé sur l'année de son achat. Mais si les comptes n'étaient arrêtés que tous les cinq ans, le bien de durée trois ans subirait le même sort. Si, par contre, on arrête les comptes tous les jours, comme l'ordinateur permet de le faire, même les salaires mensuels et les achats de biens consommables doivent être artificiellement "amortis".
Cette remarque est importante pour comprendre combien sont dénuées de fondement rigoureux certaines querelles portant sur le point de savoir où se situe la limite entre investissement et dépense d'exploitation. Cette limite est conventionnelle, et liée au découpage du temps que l'on choisit. Mais les conséquences de ce choix peuvent être très importantes, comme on l'a vu au début du présent chapitre.
La notion de dépense effective, définie au chapitre précédent, n'est pas une notion comptable. Néanmoins, la comptabilité est une source essentielle d'évaluation des dépenses effectives passées, et par conséquent de prévision des dépenses effectives futures, qui nous intéressent principalement.
Aussi est-il important de distinguer, parmi les dépenses enregistrées au compte de résultat celles qui ne représentent en aucun cas des dépenses ou des recettes effectives, et celles qui peuvent représenter des dépenses ou des recettes effectives.
Pour cela, nous examinerons les différents postes des comptes présentés au § 1 du présent chapitre ; nous supposerons qu'ils représentent un exercice comptable d'un an.
Les règles qui permettent de distinguer les dépenses et les recettes effectives résultent de leur définition.
En matière de biens et de services, donnent lieu à recettes et dépenses effectives relatives à un exercice comptable ceux qui sont juridiquement entrés dans le patrimoine considéré ou qui en sont sortis au cours de cet exercice ; le montant est le prix dû pour un paiement comptant.
En matière de flux monétaires, sont exclus tous ceux qui ont trait à des dettes ou des créances (emprunts, remboursements, intérêts versés ou reçus), et tous ceux qui ne sont pas affectables à un mouvement de bien ou de service déterminé, car ils sont calculés au niveau de l'entreprise dans son ensemble.
C'est ainsi qu'en matière d'impôts, on considérera comme dépense effective ceux qui sont attachés à chaque achat ou vente (TVA), à chaque versement de salaire (taxes sur les salaires), mais non pas l'impôt sur les bénéfices (à moins que son calcul ne soit possible pour un mouvement de bien déterminé) car il n'est en général calculable qu'au vu de l'ensemble des mouvements de l'exercice comptable, d'autant plus que son taux est parfois différent selon que les bénéfices sont distribués ou non.
Une charge ou un produit bien isolés, sans lien avec les opérations financières, tels qu'une amende ou une récompense, seront considérés comme des dépenses et recettes effectives.
Voyons sur les principaux postes du compte de résultat comment s'appliquent ces règles.
a) variation des stocks
La logique comptable fait que les diminutions de stocks apparaissent comme des charges, et les augmentations comme des produits, mais les dépenses effectives n'apparaissent qu'au moment des achats et les recettes effectives au moment des ventes.
b) dotations aux provisions
Il est à peine utile d'indiquer que les dépenses effectives entraînées par les événements en prévision desquels ces provisions ont été constituées, n'interviennent que lorsque ces événements se produisent effectivement. La pénalité sur marché, par exemple, est évidemment une dépense effective, mais non la provision qui avait éventuellement été constituée à cet effet.
c) dotations aux amortissements
Les amortissements ne sont pas des dépenses effectives. Pour connaître les dépenses effectives d'investissements de l'année, le compte de résultat n'est d'aucun secours.
Une manière d'avoir une évaluation comptable serait de comparer le poste immobilisations du bilan (sans déduction des amortissements) avec ce même poste du bilan de l'exercice précédent. Encore ce calcul pourrait-il être faussé par la revente de certains biens durables. Enfin, certaines dépenses pourraient être considérées comme des investissements dans un sens courant du terme sans être considérées comme telles au point de vue comptable ; c'est le cas notamment de certains frais de recherche.
d) charges financières
Les emprunts et les dettes, dont les en-cours figurent au bilan, entraînent des versements d'intérêts par l'entreprise. Il ne s'agit pas ici de simples écritures comptables, comme c'est le cas pour les amortissements, mais de véritables décaissements. Pourtant, ce ne sont pas des dépenses et des recettes effectives, car ils relèvent de l'activité financière de l'entreprise.
a) impôts : voir le préambule du présent paragraphe.
b) charges de personnel
On pourrait penser que le poste : charges de personnel représente bien des dépenses effectives. C'est en principe le cas. On verra pourtant au chapitre VII que ce poste peut faire l'objet de ventilations dans le temps, même pour un exercice annuel. Il en est a fortiori ainsi lorsque le compte de résultat est établi mensuellement, ou avec une fréquence plus grande encore.
c) achats et ventes
La définition comptable des achats et des ventes désigne le montant des factures reçues et émises. Lorsque le paiement est immédiat, ce montant désigne une dépense ou une recette effective. Lorsque le paiement est différé, le montant comporte un aspect financier. Ce point sera examiné ci-après au chapitre V § VI.
Rappelons que les achats d'immobilisations, c'est-à-dire de biens comptabilisés dans le compte de résultat sous forme d'amortissements, ne figurent pas dans cette rubrique. A vrai dire, ils ne figurent nulle part en comptabilité en tant que tels ; leur valeur vient seulement augmenter le poste "immobilisations" de l'actif du bilan.
d) charges exceptionnelles
Le compte de résultat peut contenir par exemple une "moins-value sur réalisation d'actif" (expression qui désigne la différence entre le prix de vente d'une immobilisation et sa valeur au bilan au moment de la vente) qui ne désigne évidemment pas une dépense effective ; mais il peut en revanche contenir une amende fiscale qui, on l'a dit plus haut, est une dépense effective.
Toute la difficulté provient du fait que le compte de résultat ajoute des sommes conventionnelles à des sommes qui représentent des dépenses effectives, et qu'une pente naturelle de l'esprit est d'assimiler les unes aux autres.
Par exemple, faire des comptes d'exploitation prévisionnels pour évaluer les conséquences d'une décision expose au risque d'ajouter aux dépenses effectives prévues l'amortissement d'installations anciennes, qui ne joue manifestement aucun rôle dans la décision en cause, sinon par le biais du calcul de l'impôt direct.
En matière de stock, on court le risque de compter l'achat d'un bien deux fois : au moment où on l'achète, et au moment où on le consomme.
De la même manière, on a vu au chapitre précédent que l'on courait même le risque de le compter une troisième fois : au moment où on le paye.
La notion de dépense effective permet d'éviter ces différents pièges, puisque le bien n'est compté qu'au moment où l'entreprise en prend possession.
En fait, c'est à la comptabilité analytique que l'on s'adresse le plus souvent pour évaluer les coûts. Mais la plupart des mécanismes décrits jusqu'ici peuvent se retrouver dans le calcul des coûts de revient, et sous forme moins visible. C'est la raison pour laquelle il était important de les décrire d'abord.