CHAPITRE V

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LE COÛT DES BIENS DURABLES

RÉSUMÉ

L'existence de biens durables pose le problème de la comparaison de dépenses effectives situées à des dates différentes. Or, il existe un mécanisme d'échanges dans le temps : celui des mouvements financiers. C'est sur cette constatation qu'est fondée la théorie de l'actualisation en calcul économique.

Toutefois, cette théorie suppose l'existence d'un marché parfait du capital.

Si cette hypothèse ne peut pas être retenue, les mouvements de biens et services peuvent seulement être décrits par le moyen de l'échéancier (c'est-à-dire le calendrier) des dépenses effectives auxquelles ils donnent lieu, sans chercher à les résumer à un chiffre unique. Les mouvements financiers, quant à eux, ne peuvent être saisis qu'au niveau global de l'entreprise.

I - POSITION DU PROBLÈME

Avant d'aborder l'évaluation des coûts en général, il convient d'éclaircir la question du coût des biens et services qui ne sont pas instantanément consommés : cela peut être des installations destinées à une certaine permanence (bâtiments, machines, etc.) ou des services qui portent effet sur une longue période (brevets, honoraires de notaires, etc.).

On sait que la comptabilité appelle généralement de tels biens des immobilisations, et ventile les dépenses correspondantes dans le temps par le biais d'amortissements, qui font à leur tour l'objet de ventilations plus ou moins détaillées dans l'espace lors du calcul des coûts de revient.

Nous avons vu pourquoi l'usage des amortissements comptables était dangereux. D'une part, ils reposent sur des hypothèses de dé croissance de la valeur qui sont largement arbitraires, et d'autre part, ils exposent au risque d'ajouter à des dépenses effectives des imputations conventionnelles héritées de décisions passées.

De son côté, le calcul économique résout le problème par la notion d'actualisation, qui réalise l'équivalence de sommes disponibles à des dates différentes. Cette opération consiste, par analogie avec le mécanisme des placements à intérêts composés à un taux i, à considérer comme équivalentes une somme Sn disponible dans n années et une somme S0 disponible à l'instant initial, avec :

           Sn 
  S0  =  ________
 
          (1+i)n

On pourrait penser que l'actualisation donne une réponse suffisante au problème du coût des biens durables, mais cette opération laisse subsister deux difficultés principales :

Nous aborderons d'abord le deuxième problème sur un exemple simple, celui de l'artisan chauffeur de taxi, qui présente l'intérêt de disposer en principe d'une cote permanente de la valeur de son matériel, l'Argus.

II - LE PROBLÈME DU CHAUFFEUR DE TAXI

Le caractère durable de son outil de travail se manifeste à l'artisan chauffeur de taxi de quatre manières différentes :

Quelles relations y a-t-il entre ces quatre façons de repérer l'écoulement du temps ?

Il est commode d'expliquer cela à partir d'un exemple numérique.

Plaçons-nous le 1er janvier de l'année 1 (instant 0) où le chauffeur achète un taxi au prix de 60 000 F. La cote de son taxi évolue de la manière suivante, à la fin de chaque année :

 instant 0 : 	60 000 F
 année   1 : 	48 000 F
 année   2 : 	39 000 F
 année   3 : 	33 000 F

A la fin de l'année 3, il revend son taxi pour 33 000 F.

Combien a coûté la possession du taxi pendant la 1ère année ? Pour le savoir, il faut imaginer ce qui se passerait, d'une part si le chauffeur revendait son taxi au bout d'un an, et d'autre part s'il avait fait un autre usage des 60 000 F dont il disposait à l'instant 0.

Quel autre usage ? En l'absence d'autre hypothèse, on imagine qu'il est toujours possible de placer cette somme d'argent de façon à recueillir des intérêts. Dans la suite du présent paragraphe, nous supposerons qu'il existe un taux d'intérêt i unique pour les prêts et les emprunts, et que l'on peut librement emprunter et prêter à ce taux (hypothèse de marché parfait des capitaux).

Nous prendrons ici : i = 10 %

Le coût de possession du taxi pendant la première année est donc égal à sa dépréciation, soit 12 000, majoré des intérêts non perçus sur les 60 000 F immobilisés à l'instant 0, soit 6 000.

De la même manière, le coût de possession du taxi pendant la deuxième année est égal à la dépréciation du taxi, soit 9 000, majorée des intérêts non perçus sur la valeur à laquelle il aurait pu revendre le taxi à la fin del'année 1, soit 10 % x 48 000 = 4 800.

On obtient ainsi l'échéancier des coûts annuels de possession du taxi, que l'on peut appeler échéancier d'amortissement économique :

				année 1 : 12 000 + 6 000 = 18 000
échéancier 1			année 2 :  9 000 + 4 800 = 13 800
(amortissement économique)	année 3 :  6 000 + 3 900 =  9 900

Imaginons de surcroît que le chauffeur ait emprunté cette sommede 60 000 F sur 10 ans, remboursable à raison de 6 000 F par an, au même taux de 10 %. A la revente du taxi, il rembourse intégralement son créancier.

L'échéancier des décaissements du chauffeur se présente de la façon suivante :

				année 1 : 6 000 + 6 000 = 12 000
échéancier 2			année 2 : 6 000 + 5 400 = 11 400
(amortissement financier)	année 3 : 6 000 + 4 800 = 10 800
					+ 42 000 solde de la dette
					- 33 000 produit de la vente.

Nous allons montrer que, grâce à l'hypothèse de marché parfait des capitaux, les échéanciers 1 et 2 sont équivalents.

Supposons en effet que le chauffeur de taxi, en gestionnaire prudent, ne consacre à sa consommation qu'une partie de ses bénéfices, égale à ces bénéfices diminués du coût de possession du taxi (échéancier 1),cette dernière somme étant consacrée à rembourser l'emprunt (échéancier 2). Si cette somme est insuffisante, il emprunte la différence au taux de 10 % ; si elle est en excès, le reste est placé à ce même taux.

L'année 1, cette différence est de : 18 000 - 12 000 = 6 000 qui, placés à 10 %, deviennent 6 600 à la fin de l'année 2.

L'année 2, cette différence est de 13 800 - 11 400 = 2 400, auxquels s'ajoutent les 6 600 précédents, soit au total : 9 000 qui,placés à 10 %, deviennent 9 900 à la fin de l'année 3.

L'année 3, cette différence est cette fois-ci négative, soit:

9 900 - (10 800 + 42 000 - 33 000) = - 9 900, somme qui est exactement couverte par les produits du placement des différences positives des années précédentes.

Si, au lieu de bénéficier d'un emprunt à dix ans à remboursements constants, le chauffeur avait obtenu un emprunt de tout autre type, cela l'aurait éventuellement conduit à contracter des emprunts supplémentaires pour payer ses remboursements annuels, opération toujours possible grâce à l'hypothèse du marché parfait des capitaux. Le résultat serait toujours le même, et il est également indépendant des rythmes de dépréciation à l'Argus.

La raison de cette coïncidence est simple. Considérons pour le vérifier un bien de valeur Voà l'instant 0, de valeur Vià la fin de l'année i, et revendu à son prix Vnl'année n.

Le coût de possession de ce bien, toujours dans l'hypothèse du marché parfait des capitaux est :

 pour l'année 1 : Vo(1+i) - V1,  c'est-à-dire : (V0- V1) + i V0
 pour l'année 2 : V1(1+i) - V2
 pour l'année k : Vk-1 (1+i) -Vk
	.
	.
	.
	.
 pour l'année n : Vn-1 (1+i) - Vn

Si maintenant on imagine que la somme figurant l'année 1 est placée au taux i, elle se trouve multipliée par 1+i, au bout d'un an, et, en l'ajoutant à la somme de l'année 2, V1 disparaît. En répétant l'opération jusqu'à l'année n, on trouve que le total obtenu est égal à:

V0(1+i)n - Vn

Mais il est loisible de remplacer Vkconsidéré ci-dessus par Vk', somme qui reste due à la fin de l'année k, pour un emprunt initial de V0.

Les différences V'k-1 (1+i) - V'k représentent alors des remboursements et des paiements d'intérêts, et l'année n s'écrit :

	V'n-1 (1+i)	- V'n  (versement au titre de l'année n)
			+ V'n  (règlement du solde de la dette)
			- Vn  (produit de la revente)

soit : V'n-1 (1+i) - Vn

On trouve le même résultat.

Une remarque essentielle s'impose alors : puisque, dans l'hypothèse du marché parfait des capitaux, la valeur actualisée de l'échéancier à l'année n (comme d'ailleurs à l'année 0 ou à n'importe quel autre instant, ainsi que l'enseigne le cours de calcul économique) ne dépend que de V0et de Vn, et nullement des valeurs intermédiaires, il existe un 3ème échéancier équivalent aux deux précédents qui se réduit à :

				instant 0 : Vo=  60 000 
échéancier 3
				année  3  : -V3=  - 33 000
(dépenses effectives)

Nous avons ainsi montré que, lorsque les hypothèses sur lesquelles repose l'actualisation sont admises, il existe au moins trois échéanciers qui donnent la même valeur de la dépense actualisée, et que nous rappelons ci-dessous dans le cas du chauffeur de taxi :

		échéancier 1	  échéancier 2	     échéancier 3

   		(amortissement 	  (amortissement    (dépenses
     		économique)   	  financier)   	     effectives)

instant 0  	............	............	      + 60 000

année 1 18 000 12 000

année 2 13 800 11 400

année 3 9 900 10 800 + 9 000 - 33 000

On pourra vérifier que la valeur actualisée de ces trois échéanciers, au taux de 10 % à l'instant 0 comme à l'instant 3, est la même.

III - JUSTIFICATION DE LA NOTION DE DÉPENSE EFFECTIVE

On voit donc qu'il y a différentes manières équivalentes, dans le cas schématique qui précède, de calculer la dépense actualisée liée à un bien durable. Auquel des trois échéanciers convient-il de donner la préférence ?

Puisque, sous l'hypothèse du marché parfait des capitaux, ils donnent le même résultat, on ne peut avancer de raison théorique pour préférer le troisième, mais de puissantes raisons pratiques conduisent à ce choix.

L'échéancier 1, en effet, entraîne des calculs inutiles dans le cas où l'on dispose d'un Argus, impossibles dans le cas contraire. Mais il y a plus grave : la tentation est grande, lorsqu'on dispose de données comptables, de substituer à cet échéancier celui des amortissements, qui se présenterait ainsi (un véhicule automobile est amorti fiscalement en 5 ans) :

				année 1   :    12 000 
	échéancier 4		année 2   :    12 000
(amortissement comptable)	année 3   :    12 000
					  -     9 000   : "plus-value sur réalisation d'actif".

C'est encore une hypothèse optimiste de penser que l'on songera à ajouter l'année 3 la "recette" de 9 000, qui correspond au fait que l'on aura vendu 33 000 un bien dont la valeur résiduelle au bilan est seulement de : 60 000 - 3 x 12 000 = 24 000.

Mais même si cette précaution a été prise, on voit que cet échéancier 4 n'est pas équivalent aux trois précédents, puisqu'il ne tient pas compte de l'effet, matérialisé par le taux d'intérêt, du déplacement des sommes dans le temps.

L'échéancier 2 est également à rejeter, car il entraîne des calculs inutiles, qui sont de plus arbitraires, en raison de la non-affectation des ressources aux emplois expliquée au chapitre II. C'est en effet une simplification abusive que de supposer que cet emprunt aura été la seule opération financière du chauffeur de taxi au cours de ces trois années. Il est difficilement imaginable qu'au moins ses dépenses et recettes journalières ne donnent pas lieu à des prêts et des emprunts, ne serait-ce que par l'existence d'un compte bancaire. Dans ces conditions, il ne sera plus possible d'avoir directement accès aux mouvements financiers propres à la possession de la voiture.

Une raison pratique supplémentaire conduit à écarter les échéanciers 1 et 2 : pour des raisonnements hâtifs peuvent en effet conduire à les mélanger, comme le suggèrent les hésitations du sens commun sur les notions de dépenses et de décaissements.

L'échéancier 3 apparaît, dans ces conditions, comme le seul qui corresponde à une réalité à la fois incontestable et facilement mesurable. Il y figure uniquement des mouvements réels de biens physiques au moment où ils ont lieu, pour leur valeur à ce moment, c'est-à-dire des dépenses effectives telles qu'elles ont été définies au chapitre II.

Ainsi se trouve expliquée la raison pour laquelle les frais financiers ne sont pas retenus parmi les dépenses effectives, alors qu'ils figurent dans l'échéancier 2 et, sous une forme détournée, dans l'échéancier 1. L'échéancier 3 fait en effet complètement abstraction du taux d'intérêt de l'argent, ce qui renforce encore son avantage sur les deux autres, comme nous allons le voir maintenant.

IV - DÉFINITION DU COÛT D'UN BIEN DURABLE

Une remarque s'impose,concernant les trois échéanciers considérés au paragraphe II : nous avons dit qu'ils étaient équivalents, mais cette équivalence n'est réalisée, au sens de l'actualisation, que pour le taux qui a servi à établir les échéanciers 1 et 2, qui contiennent des charges d'intérêt. Donc, même dans l'hypothèse du marché parfait des capitaux, l'usage de l'échéancier 3 est préférable.

Nous allons maintenant montrer qu'il l'est plus encore lorsque cette hypothèse ne peut plus être retenue.

Or, peut-on pratiquement connaître avec exactitude le taux d'actualisation qu'il convient d'employer ? Cette question en recouvre en fait une autre, plus générale : l'actualisation est-elle toujours légitime dans la pratique ? La réponse à ces deux questions est négative.

Nous avons vu, en effet, que l'existence d'un marché parfait des capitaux était une condition suffisante pour que l'actualisation soit légitime. Mais les deux hypothèses fondamentales qui définissent un tel marché : unicité du taux d'intérêt, libre accès aux emprunts et aux prêts, sont rarement recevables, comme on l'a vu au chapitre II, et par ailleurs, le principe de non-affectation des ressources aux emplois interdit d'attribuer le taux d'un emprunt particulier à l'acquisition d'un bien. Même dans le cas du chauffeur de taxi, il est utopique d'imaginer qu'il peut emprunter et prêter à sa guise au même taux, ou encore que l'emprunt considéré est la seule opération financière qu'il fera en trois ans.

Des tentatives théoriques ont été faites pour justifier l'actualisation en l'absence de marché financier parfait. C'est le cas notamment des travaux regroupés sous la rubrique "coût du capital". Mais quel que soit l'intérêt de ces travaux, on doit constater qu'ils obligent toujours à faire des hypothèses à peine moins restrictives que le marché parfait du capital, à en juger par le nombre de phénomènes observables dans la vie des affaires qui échappent à ces analyses.

Il faut conclure de ces constatations qu'il est vain de vouloir enfermer dans un seul et même échéancier la consistance économique et l'incidence financière d'un même prêt. Cette incidence financière ne peut pas être appréhendée par la seule considération des flux de dépenses et de recettes entraînés par ce projet, mais par la considération de l'ensemble de la vie financière de l'entreprise, telle que l'existence du projet considéré la modifie.

Autrement dit, le coût d'un bien durable ne peut pas, sans hypothèses restrictives, être résumé par un calcul de dépenses actualisées. Le coût d'un bien durable n'est pas un chiffre, mais l'échéancier des dépenses effectives qu'entraînent l'acquisition et la revente de ce bien. Les aspects financiers de cette acquisition doivent faire l'objet d'un échéancier distinct, qui décrit l'incidence de ce projet sur les ressources financières de l'entreprise. Cette dualité reflète celle que nous avions déjà mise en évidence lors de l'étude du bilan. Nous reviendrons au chapitre suivant sur le contenu des échéanciers financiers.

V - DE L'USAGE DE L'ACTUALISATION, LES CRITÈRES DE RENTABILITÉ

Les considérations qui précèdent n'invalident pas plus la notion d'actualisation que la constatation du fait qu'un thermomètre ne mesure jamais autre chose que sa propre température n'invalide la notion de température.

En effet, s'il est vrai qu'il n'existe généralement pas de taux d'actualisation qui permette de résumer un échéancier de dépenses effectives, il est également vrai qu'une somme disponible dans un an a moins de valeur aujourd'hui que la même somme disponible aujourd'hui. L'actualisation matérialise donc une façon non invraisemblable de considérer l'avenir.

A ce titre, le calcul du prix actualisé d'un échéancier de dépenses effectives, pour différents taux, présente l'avantage de donner rapidement une image elle-même non invraisemblable de la consistance économique du projet en cause, compte tenu des éléments retenus dans l'échéancier.

Rappelons les autres critères de rentabilité habituellement cités :

On sait que l'application de ces différents critères peut conduire à des classements différents.

Il ne faut être ni étonné ni déçu qu'il n'y ait pas de critère universel de choix, tel que le profit actualisé. Pour prendre une comparaison triviale, imaginons que le choix en cause soit celui d'une voiture automobile par un particulier ; les caractéristiques d'une voiture, son prix, sa marque, sa puissance, sa consommation, sa vitesse, sa capacité, etc... pèseront d'un poids varié dans la décision. Nous verrons d'ailleurs, dans les chapitres suivants, que l'évaluation du coût d'une décision fait intervenir d'autres éléments de subjectivité plus fondamentaux encore que le critère de rentabilité.

Un profit actualisé, à cet égard, représente une option, et de plus, il constitue une perte sensible d'information, puisqu'il existe une infinité d'échéanciers différents conduisant au même profit actualisé.

Au contraire,l'échéancier des dépenses effectives, en tant que mesure du coût d'un bien durable, présente l'avantage de ne pas préjuger d'un critère de choix, tout en ne laissant pas échapper d'information.

VI - OPÉRATIONS FINANCIÈRES IMPLICITES

Dans un certain nombre de cas, la séparation entre dépenses effectives et opérations financières ne s'impose pas à l'évidence ; il en est ainsi pour les locations et les locations-ventes, les acomptes et les paiements différés. Toutefois, des considérations pratiques permettent presque toujours de trancher dans chaque cas particulier.

a) Locations et locations-ventes

La location d'un bien durable est un contrat selon lequel un locataire dispose de ce bien pour une période déterminée contre paiement d'une somme convenue à l'avance. La location-vente est une location assortie de la possibilité pour le locataire de devenir propriétaire du bien. Les modalités pratiques de ces opérations peuvent être très variées.

Du point de vue de la définition du coût des biens durables, locations et locations-ventes posent un problème théorique. En effet, le loyer doit-il être considéré comme un mouvement financier ou comme une dépense effective ? Selon les cas, on est tenté de pencher pour l'une ou pour l'autre solution. Par exemple, la location d'un navire pour un transport exceptionnel ne semble guère relever du domaine financier, dans la mesure où l'achat du navire ne fait pas partie des solutions envisagées. A l'opposé, il se pratique couramment des opérations de type suivant : un industriel a besoin d'un bien durable, mais il ne dispose pas des crédits nécessaires pour l'acquérir, ou encore il ne souhaite pas faire apparaître une telle immobilisation à son bilan ; il peut alors passer un contrat avec un organisme financier qui achète le bien et le lui donne en location ou en location-vente.

Dans ce dernier cas, les loyers apparaîtront en dépenses au compte de résultat. Pourtant, l'opération est équivalente, en dehors de ses aspects juridiques et comptables, à un achat assorti d'un paiement étalé sur plusieurs périodes, et comprenant une part de remboursement et une part d'intérêts. Dans le cas d'un loyer constant dans le temps, cette opération peut s'interpréter comme la matérialisation juridique d'un calcul dit d'annualisation : étant donné un investissement ponctuel de prix I, il est possible de calculer une somme annuelle constante a telle que la valeur actualisée de ces sommes à l'instant 0, sur les n années d'usage de cet investissement, soit égale à I.

Si i est le taux d'actualisation retenu, on doit avoir :

     		 n
  	                1
  	I = a  SIGMA  _____   
                   	    
		 1    (1+i)k

			i
 soit   a  =  I  x    _____
			  1
   		     1 - ______	 
  			      
			 (1+i)n


On voit sur cette formule de quelle manière le loyer dépend, en marché parfait du capital, de la durée n et du taux i.

Il n'est pas possible de trancher dans l'absolu sur l'aspect plus ou moins financier de telles dépenses. Il convient de se demander dans chaque cas si les fluxconsidérés sont ou non mis en balance avec des opérations proprement financières dans les scénarios que l'on compare. La même remarque s'applique au paragraphe suivant.

b) Les acomptes et les délais de paiements

La définition d'une dépense effective fait intervenir le prix payé au comptant. Mais, dans la pratique des affaires, on ne connaît que ce que le Plan Comptable appelle "le prix convenu", qui correspond aux conditions habituelles de règlement, lesquelles peuvent comporter des paiements anticipés (acompte accompagnant la commande, par exemple), de courts crédits dus à la périodicité des règlements (fin de mois, par exemple), voire des crédits de 30, 60 ou 90 jours à compter de la fin du mois de l'envoi de la facture. Comment faire le partage entre prix comptant et charge financière, lorsque le paiement immédiat n'est pas envisagé ?

En fait, s'il n'est pas facile de refuser de verser des acomptes si l'usage s'en est établi, il est toujours possible de payer comptant, car nul ne refuse a priori un paiement anticipé. La question se pose du montant du rabais souvent appelé "escompte de caisse" consenti dans un tel cas, et de la nécessité pour l'entreprise de disposer du "crédit fournisseurs" parmi ses ressources financières.

Les impôts de toutes natures posent des problèmes analogues. Qu'ils soient assimilables à des dépenses effectives parce qu'ils sont affectables à un bien ou un service particulier (cf. chap. III, § IV 2) ou non, ils peuvent être payés par "provisions" c'est-à-dire par fractions avant l'échéance, ou de manière différée, par le jeu des "obligations cautionnées", sortes de reconnaissances de dettes à l'égard de l'État que les entreprises peuvent fournir, avec la garantie d'un établissement financier, pour différer le paiement de la TVA ou de droits de douane.

VII - LES DIVERSES ACCEPTIONS DU MOT AMORTISSEMENT

Au fil de ce chapitre, nous avons été conduits à utiliser le mot amortissement à plusieurs reprises dans des sens différents. Nous les rappelons ci-dessous :

Cette multiplicité n'est pas sans entraîner les plus regrettables confusions. Ainsi, l'expression : "telle installation est amortie en cinq ans" peut signifier, soit qu'elle a perdu toute valeur cinq ans après son achat, soit que l'emprunt auquel elle adonné lieu est remboursé dans ce délai, soit que les bénéfices qu'elle aura procurés auront remboursé son prix d'achat. Il n'y a évidemment aucune raison pour que ces différentes acceptions coïncident.

La conclusion de cet inventaire succinct s'impose d'elle-même : c'est qu'il convient de n'utiliser le mot amortissement qu'avec circonspection, et de prendre le soin d'expliciter chaque fois la signification particulière qui y est attachée.